Page:Leroux - Le Château noir, 1933, Partie 1.djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
141
À TRAVERS L’ENFER

c’est lui… je le reconnais… C’est ce pauvre lord Radlan !… Mon Dieu, comme il est changé. Il a bien dû se faire déchirer par trois crocs… Et sa barbe !… Sa barbe a encore poussé !… »

En effet, le mort d’en face avait une barbe d’une longueur extraordinaire et qui coulait de lui (car il avait la tête en bas) comme une pluie d’or…

« Un bien brave homme, messieurs… et qui aimait la vie… et qui avait le pourboire facile… Seulement, il était un peu entêté !… Eh ! mais… tenez… je ne me trompe pas… le Turc là, au-dessus de lui… le kachef avec ses vêtements retournés, c’est Kibrigli lui-même, le contrôleur des sorbets… ma parole ! Ce sacré Kibrigli… en voilà un qui était rigolo… on ne savait pas ce qu’il était devenu… un beau jour il disparut, on disait qu’il s’était sauvé avec une odalisque ramenée de Smyrne. Pauvre Kibrigli ! il ne rigolera plus !… C’est égal ! Comme on se retrouve !…

— Chut !… écoutez donc !… écoutez donc !… » fit tout à coup la voix de Rouletabille.

Aussitôt, il n’y eut plus dans ce puits du diable que le bruit de quelques respirations haletantes.

« Il me semblait avoir entendu une plainte… »

À ce moment, Rouletabille était à cheval sur un crampon qui retenait le corps déchiqueté d’un de ces chevaliers blancs qu’il avait tant admirés lorsqu’il en avait aperçu la troupe à son arrivée dans le pays de Gaulow.

« Eh ! mais, il remue encore !… Il est vivant !… souffla le reporter… Oh ! c’est horrible ce croc qui lui est entré dans la poitrine… Malheur !… Il tressaille… Tenez !… entendez-vous ? il se plaint…

— Quand je vous disais que j’avais entendu des plaintes, fit La Candeur.

— Haussez la lanterne, Athanase… Vous êtes plus bas que moi… éclairez-lui le visage… Oh ! c’est presque un enfant… regardez, ses lèvres remuent… Il souffre peut-être encore…