Page:Leroux - Le Château noir, 1933, Partie 1.djvu/139

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
137
LES OUBLIETTES DU CHÂTEAU NOIR

— Qu’allez-vous faire de moi ?…

— Vous vous suspendrez au cou de mon ami La Candeur ?… n’est-ce pas, La Candeur ?

— Ma foi, ce n’est pas de refus… Dans le cas où je tomberais, monsieur me serait bien utile… »

Rouletabille se décida à retourner vers l’horrible chose et cette fois, se força à regarder longuement cette épouvante suspendue sur sa tête.

Quelle vision d’enfer !

Comme de mauvais anges précipités, des corps affreux semblaient tomber du ciel, les mains et la tête en bas, dans cette position spéciale que l’art donne quelquefois au nageur qui plonge… nageurs du gouffre noir… plongeurs de la mort dont les mains à jamais étendues ne rencontrent que le néant. Certains de ces corps n’étaient plus que des squelettes encore habillés de loques sanglantes ; mais la plupart avaient conservé sur leurs visages, ravagés par la terreur, les stigmates suprêmes de leur atroce agonie ; d’autres semblaient encore avoir des yeux vivants, des yeux tout grands ouverts comme pour mieux mesurer l’abîme de l’éternelle nuit… et leur bouche aussi était grande ouverte comme si elle laissait encore passer le hurlement qui avait accompagné les premières heures de leur prodigieux supplice. Leurs membres étaient teints de sang, les flots de leurs chevelures glissaient comme de lourds serpents le long de leurs tempes livides ; la lueur rouge venue de la lanterne vacillante au poing tremblant d’un enfant audacieux, éclairait fantastiquement ces ombres forcenées, ces gosiers avides aux muets abois, ces flancs épouvantablement déchirés. Tous ces corps, les uns proches, les autres lointains… tous avaient ce même geste de démons précipités de la droite de Dieu et courant à la géhenne… Et les voyageurs sacrilèges de ces catacombes maudites, en apercevant pour la première fois ce mystère d’apocalypse, avaient dû s’enfuir pour éviter que cette grappe formidable de damnés ne leur tombât sur la tête !… Puis