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LE CHÂTEAU NOIR

m’ayez débarrassé de ce bâillon, moins parce qu’il m’étouffait que parce que je vais pouvoir vous faire mesurer toute la vanité de ce petit attentat sur ma personne. Vous avez vu, messieurs, que je ne me suis point débattu, que je n’ai pas essayé d’appeler à l’aide ; bref, que j’ai évité de causer le moindre désagrément. Si j’avais crié, on serait venu et vous auriez eu à vous repentir de ce léger malentendu.

« Je ne suis point un méchant homme et ne veux point, comme on dit, la mort du pécheur… Et pis, j’ai l’habitude… oui… Vous pensez bien que ce n’est pas la première fois qu’on se livre à ce genre de sport sur ma personne… Il n’en est jamais rien résulté de fameux, voilà ce que je désirais vous dire. Si vous étiez bien sages, vous me laisseriez, tranquillement, aller me coucher…

— Sans doute va-t-on s’apercevoir de votre absence ? interrogea Rouletabille, frappé du sang-froid du majordome, et sans doute va-t-on venir vous chercher ?

— Je ne le crois pas, monsieur, je ne le crois pas ! Je tiens trop peu de place ici, et l’on a fait trop la fête, ce soir, au château, pour que quelqu’un pense au bon Priski. Non ! non ! votre concierge lui-même, ce grand diable d’Albanais que je vous ai présenté, se préoccupe peu de savoir si je suis encore dans le donjon ou dans mon lit… Non, on ne viendra pas me chercher, rassurez-vous !… Ça n’est pas ordinairement ainsi que les choses se passent…

— Et comment se passent-elles donc, mon cher monsieur Priski ?

— Mon Dieu !… On essaie de me mêler toujours à une tentative d’évasion qui ne réussit jamais… et l’on finit par me laisser reprendre le chemin de ma loge, bien tranquillement !… ou bien encore on veut aller jusqu’au bout des choses, car il y a des « entêtés » partout et cela se termine fort mal pour les « entêtés » ! Croyez-moi, messieurs, écoutez-moi, c’est la voix de la sagesse qui vous parle par ma bouche. Ne cherchez pas à vous évader !… S’évader !… Évidemment, c’est un beau rêve…