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LE DONJON

vent pas, ils ne se doutent pas !… Venez !… » Le jour où vous serez allé lui dire cela, Athanase Khetew, il vous suivra, ses armées se mettront en marche derrière vous… et regardez ces défilés… ces gorges obscures… ces sombres vallées de rocs, tout l’empire redoutable de Gaulow… tout cela tout à coup tressaille… tout cela bruit, tout cela s’éclaire de milliers de baïonnettes. IL y en aura bien quelques-unes pour sauver Ivana ! »

À ces paroles de flamme qui le brûlaient d’autant mieux que le ton dont elles étaient dites était plus contenu, plus étouffé, plus sourd, que la chaleur qui les animait était plus concentrée, Athanase s’était rapproché de Rouletabille et… ce que le jeune homme avait prévu arriva… Il lui prit la main. Il dit :

« Quand pourrai-je partir ?… Quand pourrai-je être sûr de cela ?… Quand serons-nous fixés sur le sort des documents ? que je sache si je dois aller vaincre avec eux ou rester ici, et mourir avec vous ?

— Nous saurons cela cette nuit ou demain au plus tard… » répondit Rouletabille.

Et lui serrant la main avec une énergie préméditée :

« Alors, nous sommes d’accord ?

— Nous sommes d’accord !

— Si nous sommes d’accord, nous sommes bien près d’être sauvés ! fit le reporter. Lorsque vous redescendrez avec les troupes vers Kirk-Kilissé et que vous passerez par ici, vous ne nous oublierez pas en route, Athanase Khetew ?… »

Le Bulgare le regarda un instant d’une façon assez étrange, puis laissa tomber ces mots d’une voix sourde :

« J’aurai accompli mon devoir vis-à-vis de mon pays, je n’aurai plus à penser qu’à Ivana, vous le savez bien ! »

Rouletabille releva la tête comme pour saluer le défi, mais il pensa tout de suite que le moment n’était pas venu d’une explication définitive entre eux, à propos d’Ivana. Athanase dut juger de même, car il n’insista point. Ils étaient tous deux dans la situation exacte de