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LE CHÂTEAU NOIR

« Osez dire que vous ne m’aimez pas !… »

Ils étaient penchés l’un vers l’autre, se défiant en riant, et si près qu’on aurait pu croire qu’ils allaient s’embrasser. Ivana s’écarta brusquement, car elle avait senti le souffle chaud du jeune homme. Rouletabille se passa la main sur le front, tâcha à reprendre un peu de sang-froid et rejoignit la jeune fille qui s’en était allée à une fenêtre contempler la ville nocturne, sous le rideau soulevé. Alors, il lui parla tout bas, avec angoisse, et une certaine audace passionnée. Elle l’écoutait sans tourner la tête, attentive, immobile et muette.

« Il y a des preuves que vous m’aimez. Tenez, ici ! la joie que nous avons eue à nous retrouver, Ça n’est pas une preuve, cela ? Et hier, cette promenade à cheval, hors les murs… la minute où, Le du pont de pierre, je vous ai retenue sur votre cheval qui avait fait un écart. Je vous avais eue dans mes bras… oh ! un instant… Rappelez-vous notre embarras et notre silence, après. Ce n’est pas de l’amour, tout cela ? Eh bien, et tout à l’heure quand nous avons mêlé nos haleines…

— Taisez-vous ! je ne serai pas votre femme…

— Pourquoi ? Dites pourquoi. Vous avez dit cela bien mollement, Ivana.… Vous êtes promise ? Y a-t-il quelque part quelqu’un qui puisse se dire votre fiancé ? »

Elle secoua sa belle tête.

« Non, il n’y a personne qui puisse se dire cela, mon ami, exprima-t-elle avec un certain effort… je ne veux pas me marier et je vais vous dire pourquoi… ajouta-t-elle avec un énigmatique et grave sourire : un jour que je me promenais avec mon père dans le Balkan… naturellement j’étais bien jeune, puisque mon père a été assassiné quand j’avais six ans… c’était quelques mois avant sa mort… une vieille sorcière est venue à nous qui a lu dans les lignes de ma main et qui m’a dit : « Petite, méfie-toi de tes noces ! » Voilà !… Alors, vous comprenez, je ne tiens pas à me marier, moi !

— Oh ! fit-il… s’il n’y a que ça !… »