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KARA SELIM

rait sans doute les approcher !… Toute sa conduite avait été certainement dictée par cette idée fixe. Approcher, voir, toucher le coffret byzantin ! Reprendre les documents !

Et si, ce soir, elle était assise si calme et si près de Kara Selim, c’est qu’il fallait qu’il en fût ainsi, à cause du coffret byzantin !

Rouletabille n’en doutait pas !

Il n’avait pas besoin qu’elle lui parlât, ni même qu’elle tournât son regard vers lui pour lire dans ses yeux qu’ils n’étaient habités que par cette pensée-là !

Et si, demain, elle acceptait d’être Ivana Hanoum, la première cadine de Kara Selim, c’est qu’il le fallait encore !… Sa religion, son honneur, son amour peut-être, elle sacrifiait tout sur l’autel de la patrie !

Rouletabille s’exaltait à la fréquentation d’une idée aussi haute ; il se sentait devenir fort, fort, fort, moralement et physiquement fort à cause de l’honneur qu’il avait d’approcher un aussi beau destin ! Et il se sentait la capacité de vaincre, en une nuit !…

Il avait une nuit devant lui ! une seule !…

Demain, il serait trop tard !… Demain, c’était la victoire de Gaulow !…

Il regarda à sa montre l’heure qu’il était : dix heures. Il fit signe à Priski.

Il lui dit que ses compagnons et lui étaient exténués et désiraient aller se reposer. Priski lui dit que rien ne s’opposait maintenant à ce qu’ils se retirassent et il les fit sortir à l’anglaise. Sur le seuil de l’immense salle peine de la fumée des parfums et des chibouks et du bruit de plus en plus frénétique de la fête, Rouletabille se retourna. Oh ! cette seconde, cette seconde où leurs deux regards se croisèrent ! Malgré l’espace, la fumée, les bruits, malgré tout, ils se rencontrèrent, ils se heurtèrent… Oh ! ce choc électrique qui le galvanisa, lui… comme il avait dû, elle, l’emplir d’un vaste espoir !… Ils s’étaient compris. Ils savaient qu’ils pouvaient compter