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KARA SELIM

un silence terrible s’appesantit sur tous. Il n’y avait que La Candeur qui n’eût point compris. Mais il ne tarda pas à se rendre compte qu’il avait dû commettre, sans le savoir, quelque abominable gaffe, car le pacha noir lui lança un regard foudroyant et donna l’ordre bref à Stefo le Dalmate d’aller conduire les jeunes gens contre la muraille, en un coin du divan où La Candeur se laissa tomber plus mort que vif.

Les rires repartirent derrière les moucharabiés.

« Surtout, ne les regarde plus, » lui cria Rouletabille.

Le malheureux garçon, comprenant tout à coup de quel crime il s’était rendu coupable, tourna avec énergie la tête du côté opposé à celui où se faisait entendre le rire des femmes. Pour qui pénètre pour la première fois dans quelque sérail vraiment digne de ce nom, c’est-à-dire dans un de ces magnifiques palais des princes osmanlis, il n’est rien de plus agaçant que ce murmure-là, qu’on ne voit pas, qui vient d’on ne sait où et qui a l’air de se moquer de vous.

Sur ces entrefaites, le dîner fut servi ; une foule de serviteurs envahirent la salle, et Rouletabille fut heureux de retrouver M. Priski qui donnait des ordres pour qu’on approchât des jeunes gens les plats d’argent.

« Kara Selim est furieux, lui dit Rouletabille. Mon ami a regardé du côté des moucharabiés.

— Bah ! il lui pardonnera, s’il paye bien, répondit M. Priski.

— Ah ! pour cela, il peut être tranquille. C’est le neveu de Rothschild !

— En vérité !… »

M. Priski ne manqua point, à cette occasion, de prendre avantage de ce qu’il avait su deviner en « Monsieur Candeur » un barine des plus respectables.

« Vous comprenez, effendi ! disait-il avec un sourire entendu : moi « on ne me la fait pas ! »… Je suis depuis trop longtemps dans le métier ! Au premier coup d’œil, je vois à qui j’ai affaire… J’ai bien vu tout de suite, que