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LE CHÂTEAU NOIR

plète ignorance de la situation diplomatique ; mais Rouletabille ne s’y laissa point prendre. Le pacha noir se méfiait-il déjà ? Avait-il découvert les documents dans le coffret byzantin ? Soupçonnait-il ces jeunes gens d’avoir été lancés sur la piste desdits documents et aussi, naturellement, sur celle d’Ivana ?…

Ivana !… Où était-elle ? Où l’avait-on enfermée ? Dans quelle chambre lointaine de ce prodigieux château gémissait-elle en attendant le supplice de la cérémonie du lendemain ?

Il pensait encore à elle quand des voix féminines, de jolis rires, un babillage que l’on essayait à peine d’étouffer se firent entendre.

Tout ce bruit charmant venait de larges loges aménagées dans la partie la plus élevée des murs de cette grande salle, loges garnies de « moucharabiés », grilles de bâtons dorés derrière lesquelles les femmes de Kara Selim pouvaient venir en toute liberté et le visage découvert, car elles ne craignaient point le regard des hommes ; de là-haut, elles assistaient aux fêtes du selamlik.

Il n’est guère de selamlik dans le monde ottoman qui ne possède ces sortes de loges. Rouletabille, qui avait été reçu par le menebbi à Tanger et qui avait mangé avec ce noble seigneur les confitures de roses, était déjà au courant de cette particularité et savait qu’il ne fallait point se retourner vers les moucharabiés ni sembler prêter une attention quelconque à la présence des femmes derrière les bâtons dorés.

Aussi, bien qu’il se demandât avec angoisse si Ivana n’était point parmi ces femmes qu’il entendait, et malgré qu’il eût un gros intérêt à lui montrer son visage, il ne se retourna point. Vladimir, très « averti » lui aussi, resta impassible. Mais La Candeur, naturellement, se retourna et regarda ostensiblement en l’air, du côté des moucharabiés.

Aussitôt toutes les conversations cessèrent dans la salle, les rires se turent derrière les mystérieux grillages :