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KARA SELIM

faisaient tout de suite une couronne noire et libre. Il n’en avait point d’autre. Il ne portait ni fez, ni turban. Son vêtement n’était guère celui d’un Oriental, en dehors d’une lévite aux longs plis sur laquelle il était assis et qui était noire comme le reste. Ses jambes admirables étaient gantées de chausses de soie noire. À sa ceinture noire étaient glissées des armes d’une richesse éclatante. Enfin, ce monstre avait une beauté vraiment noble et intelligente. Ses mouvements décelaient une vigueur nerveuse et souple, la vigueur de ces panthères apprivoisées que la mythologie hellénique donnait pour montures aux compagnons de Bacchus indien.

Il regarda venir à lui les jeunes gens avec une certaine négligence, en fumant son chibouk dont la magnifique anche d’ambre lui emplissait la bouche.

Rouletabille, qui voulait se faire « bien voir » du maître, se rappela les us de la cour du sultan du Maroc, prince qu’il avait interviewé lors d’un voyage à Fez, et, comme s’il avait été en face de « Sidna », il s’arrêta par trois fois et esquissa la révérence trois fois.

Kara Selim souriait et parlait à ses voisins en regardant le reporter. L’un de ses voisins était le kiaiah (l’intendant), et Rouletabille pensa que Kara Selim débattait, avec lui le prix qu’il allait leur demander pour leur rançon ; l’autre devait être une sorte d’ecclésiastique ; il portait l’habit des mellahs et devait exercer près du pacha noir les doubles fonctions de chapelain et de conseiller. Il avait l’air très intelligent et très fin. À la Karakoulé, il devait représenter la science et les beaux-arts. Il parlait français et demanda aux jeunes gens s’ils venaient de Sofia.

Rouletabille répondit qu’ils avaient dû nécessairement passer par Sofia, mais qu’ils ne s’y étaient point arrêtés. Kara Selim leur demanda s’il était vrai que la guerre fût près d’éclater comme les Turcs le racontaient et ce qu’ils en pensaient ; enfin il leur posa des questions qui prouvaient ou qui étaient destinées à prouver une com-