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LE CHÂTEAU NOIR

l’appartement dans lequel Kara Selim recevait les hommes, le selamlik étant, en Orient, opposé au harem, qui est uniquement réservé aux femmes, aux eunuques, et au maître du lieu.

Quand ils eurent traversé un riche vestibule dont les murs étaient décorés de dalles de faïence qui brillaient comme des glaces à la lueur des flambeaux portés par des esclaves noirs qui ne bougeaient pas plus que des statues, ils pénétrèrent dans une vaste salle où se trouvait déjà une assemblée assez nombreuse. Tout ce monde-là, qui était celui des principaux officiers et fonctionnaires du palais et des environs, était assis sur ses talons au fond d’un immense divan qui faisait tout le tour de la salle, aux murs de laquelle étaient suspendus les plus riches tapis. Deux braseros brûlaient au centre et répandaient une douce chaleur. Des parfums grillaient dans des cassolettes.

Au fond, sur des coussins qui lui faisaient une sorte de trône et sous un dais qui laissait pendre des étoffes somptueuses, il y avait un homme tout habillé de noir qui était Gaulow.

Celui-là, à première vue, Rouletabille ne le reconnut pas. Son rude visage ne présentait plus rien de cette funeste férocité qui avait épouvanté le reporter au fond de l’hôtel Vilitchkov.

L’aspect formidable de cette tête de brute, ivre de sang, avait disparu ; les traits restaient sévères sans doute, mais intelligents, si paisibles et si beaux !… car Gaulow était beau.

Il était de taille moyenne et bien prise ; son torse serré dans une sorte de pourpoint de soie, n’était point celui d’un athlète, mais montrait des lignes solides et harmonieuses ; son cou sortait nu et blanc de tout ce noir et portait avec orgueil la tête au profil régulier, à la machoire un peu forte, mais à la ligne sourcilière idéalement horizontale sous le front large et court à cause que les cheveux, ramenés et régulièrement coupés en avant, lui