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KARA SELIM

kov, son grand sabre sanglant à la main, poursuivant Ivana avec des cris de mort !…

Et comme le reporter restait là, un peu saisi, et qu’il n’obéissait pas assez vite au geste qui lui disait d’avancer, Stefo le Dalmate eut un éclair dans ses yeux gris, un tremblement de colère dans son haut corps orgueilleux.

Cependant il se ressaisit vite et c’est en essayant de sourire qu’il dit :

« Bouyourounouz ! [1]

— Il nous prie de le suivre, » fit Vladimir en poussant Rouletabille et en entraînant La Candeur.

Rouletabille repérait tous les points saillants de leur errance nocturne dans ce formidable palais et casait dans sa tête le souvenir géométrique des passages et des cours.

Ils glissaient maintenant dans une sorte de cloître, sous les arceaux duquel était étendue une soldatesque un peu plus reluisante que celle qu’ils avaient vue dans la bâille.

Décidément il y avait une forte garnison à la Karakoulé, et tous ces gaillards-là étaient armés jusqu’aux dents.

La majorité était kurde, avait été ramassée en Anatolie ; Allah seul savait à la suite de quels méfaits. Les autres représentaient pour le moins cinq ou six races différentes. Il y avait là des Lazes trapus, habillés de bure blanche ; des Tcherkesses, à bonnet de fourrure ; de noirs Arabes, jusqu’à des Turcs de la plaine, en longs habits.

Moins effrayants à voir que les Pomaks de la grande bâille, ils dormaient ou fumaient leurs pipes ou étaient assis autour des marmites de riz.

La Candeur ne quittait point des yeux son grand « caïman » qui, en les précédant, ne cessait de jouer avec le manche de son poignard. Bien que le majordome ne lui eût point raconté des choses extrêmement gaies, il préférait encore Priski qui, lui, au moins, n’avait pas de poignard.

Ainsi arrivèrent-ils dans le selamlik, c’est-à-dire

  1. Je vous en prie.