Page:Leroux - De l'humanité, de son principe, et de son avenir, Tome 1, 1860.djvu/6

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
11
A BÉRANGER.


nos idées, dans nos découvertes, comme aussi dans nos erreurs ? Nos âmes ne sont-elles pas des sœurs qui cherchent la vérité les unes avec les autres et les unes pour les autres ? J’ai toujours aimé le modèle que nous donne Horace d’un écrivain honnête et ami du vrai, qui présente son livre à ses amis en leur disant : «Je me suis servi de ce que vous m’avez appris, et voici ce que j’ai trouvé à mon tour. Si vous savez quelque chose de mieux, dites-le-moi ; sinon, profitez avec moi de ce que je vous apporte :


Vive, vale ; si quid novisti rectius istis,
Candidus imperti ; si non, his utere mecum.»


Le doute qui règne aujourd’hui sur les questions fondamentales de la philosophie et de la religion est un supplice si grand et si général, que j’aurais pitié d’un homme qui ne saurait pas se mettre au-dessus du sentiment de l’imperfection de son œuvre, et que cette mauvaise honte empêcherait de faire ce que son cœur lui dicterait.

Vous ne partagez pas l’erreur de ceux qui divisent en lambeaux et mutilent à plaisir la connaissance humaine, et qui se sont fait de l’art une idole à part de l’humanité. Ce n’est pas vous, ami, qui me direz dédaigneusement que votre poésie n’a rien à démêler avec des recherches de métaphysique et d’histoire. Mais si quelqu’un de vos admirateurs trouvait étrange cette dédicace, je lui dirais à mon tour qu’il n’a pas compris votre poésie, et qu’il a pu s’en enivrer follement sans savoir en nourrir son âme. Non, cet admirateur de votre génie ne sait pas qui vous êtes ; il ne sait pas que vous avez avec la philosophie bien des liens de famille.

Vous êtes, en poésie comme en réalité, le fils de cette grande génération de la fin du dix-huitième siècle, qui fit