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Oh ! Que les anciens étaient plus dans la vérité avec leur mythe du fleuve Léthé ! Les plus nobles héros, les plus grands sages, n’aspiraient, suivant eux, qu’à boire à longs traits ces eaux d’oubli, sans croire perdre, pour cela, leur existence, leur être, leur identité, leur personnalité, leur moi. la persistance de la mémoire, comme la comprennent et la voudraient la plupart des hommes, serait le plus grand obstacle au progrès, et un enchevêtrement absolu au développement de la vie dans l’espèce, et, par conséquent, dans les individus eux-mêmes. Prenez les plus grands hommes dont l’histoire fasse mention, et imaginez-les transportés, avec cet attirail de la mémoire de leurs manifestations, dans un âge suivant : ne voyez-vous pas combien ce prétendu trésor leur deviendrait pernicieux, et les rendrait eux-mêmes funestes au progrès des choses humaines ! N’est-il pas évident qu’ainsi attifés de leur passé, de ce passé qui a dû périr parce que c’était une forme et que toute forme doit périr pour que la vie se continue, ils ne seraient nullement propres à revêtir la forme nouvelle que le progrès de la vie nécessite ? Ne cherchons donc pas, dans la conservation ou la perte de la mémoire, le caractère de notre identité. Notre identité, c’est le moi qui nous a été donné indépendamment de ses manifestations ; et c’est aussi le non-moi qui nous a été donné dans