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ce que les moines, c’est ce que tous les saints ont bien senti. Leur amour pour l’humanité n’existait donc qu’à la condition de ne prendre aucune forme ; c’était un amour général qui ne se particularisait en aucun cas. Mais, il y a plus : je dis que cet amour des hommes ne pouvait pas être un amour réel des hommes, mais une espèce de violence pour les faire sortir de la condition humaine, et les entraîner dans la même abnégation et dans le même ascétisme où l’on était soi-même plongé. Le monde alors était un affreux chaos, où toutes les races d’hommes se déchiraient entre elles, où tous les hommes se déchiraient entre eux. Aimer les hommes, c’eût été espérer pouvoir quelque chose pour leur salut, sans les faire sortir de la nature et de la vie. Cette espérance n’était pas concevable. Aussi est-il vrai encore que jamais les chrétiens fervents n’ont aimé l’homme dans l’homme, ni l’humanité pour elle-même. Ils ont seulement prétendu vaincre le mal, en abolissant la nature, la vie, l’homme, l’humanité. De même qu’ils mettaient leur propre salut hors de la vie, hors de la nature, de même qu’ils mettaient Dieu hors de la vie, hors de la nature, ils ne concevaient le salut des autres hommes que hors de la vie, hors de la nature. Ils ont accompli ainsi une grande œuvre, sans doute, une œuvre providentielle et nécessaire ; qui le nie ? Mais