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n’obéissons pas qu’à un sentiment égoïste. En passant, on ne se doute pas de ce qu’est la vie dans un endroit pareil ; c’est un monde nouveau. Quand, à partir de trois heures, tous les glaciers se mettent à briller et les jeux d’ombre à changer tout le temps dans les vallons, on ne lit plus, on ne parle plus, on ne travaille plus. Tout le monde est planté comme un sapin au bord de la terrasse. En outre, il y a des fleurs, autant de fleurs que d’herbe. Je n’aurais jamais cru cela. Je me suis amusée à faire un bouquet sans cueillir deux plantes pareilles ; en trois minutes c’était fait. Il y a de magnifiques buissons d’églantiers jusque sur le Signal même, ce qui prouve que la montagne n’est pas rigoureuse. Rien n’est reposant comme ces grands talus verts, avec les lisières droites ou courbes de la forêt…

Nous ne frayons guère, n’allant jamais au salon… pourtant, un bon abbé s’est décidé à rompre la glace en m’invitant à aller me promener avec lui, avec le chapelain et la soeur du chapelain. Marche en plein ciel, jusqu’au Pralaire, et aussi facile que sur des nuages. Tu vois quelle société bien pensante. Je n’ose pas laisser traîner le livre que Blum m’a envoyé et dont le titre Au théâtre, pourrait jeter un froid…

Je souhaite à Carle un beau travail de vacances. Moi, voilà deux mois que j’ai « dételé », et j’avoue n’en avoir ressenti aucun repos, plutôt de l’énervement. Je crois que j’ai