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que c’est bien là l’œuvre fulgurant d’un génie comme il n’en fut point avant lui. Et relisez alors la désolante fin de lettre : « Je suis resté au seuil, mais il faudra bien l’enfoncer, cette porte. »

Il a vécu toutes les voluptés et toutes les affres de l’humanité qu’il s’était choisie ; et à cette heure tragique de doute traversé d’un suprême espoir, il sanglote, il tend les bras, il pousse vers le ciel le cri des héros torturés. Quel fut donc le rêve de beauté et d’art d’un tel homme pour que, l’ayant enfoncée cent fois, cette porte idéale qu’il voit encore et malgré tout se dresser entre sa chimère et lui, il espère d’une dernière poussée des épaules la renverser !

Mais la mort continue à le tâter, ne sachant encore où frapper cette maturité puissante et qui se retient d’un si volontaire effort. Ah ! certes, la sinistre rôdeuse qu’il avait si rudement bafouée, sous les travestis ridicules et les funèbres oripeaux où il la parait d’un air piteux et grimaçant de locasson et de louche entremetteuse, dut ressentir quelque joie à le voir entamé en sa vitalité de belle vigne rouge, par les graduelles décompositions qui frappent aux sens et aux moelles les prodigues comme celui-là. Une ou deux fois le jour, ses yeux se troublent et l’obligent à rester « les yeux demi-fermés pendant une heure ». Son cœur à son tour se prend. La mort est désormais en lui comme elle était déjà dans son œuvre. Il ne peut remuer ses portefeuilles sans la voir, avec ses orbites vides et son rire aux dents, se dresser comme les squelettes que le moyen âge plaçait aux angles de ses tombeaux. Sa devise, c’est encore elle sous le bonnet de la folie avec la banderole Aultre estre ne veulx ; elle porte la marotte et elle est bien, en effet, sa marotte à lui qui ne cessait de la défier et la tenait, comme une femme, couchée dans son lit.

« Ah ! ce cœur a bien le droit d’être malade, écrit-il le 12 novembre 1894. Depuis soixante ans, il tressaille à toutes les émotions comme une harpe éolienne et ce qui le tue, c’est que ce n’est pas fini ! » Son émotivité est vive