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Rops déconcertait jusqu’à ses amis, charmés à la fois et mis en garde par l’agilité de ses changements à vue où il égalait l’art d’un Frégoli. Même ceux qui l’approchaient de plus près n’étaient pas sûrs qu’il ne fût pas simplement un fanfaron de vice et qui, jusque dans son métier, fanfaronnait encore en leur cachant le tourment triste de son difficile travail. Baudelaire qu’il connut à Bruxelles, pratiquait la fanfaronnade macabre, l’outrance caricaturale dans l’effroi burlesque, et cette perversité mêlée de travesti où il se proposait le plus persuasif des pince-sans-rire, Rops, par maints traits de similitude, fut de sa lignée ; il subit l’emprise de son halluciné et facétieux génie au point de l’imiter en ses manies. Ce qui fut mieux, il songea à lui apporter le commentaire de son génie à lui-même. Il rêva d’illustrer les Fleurs du mal : on eût vu, comme deux sœurs enguirlandées des roses ardentes de la luxure, la mort du poète et celle de l’artiste danser un menuet aux sons aigres-doux de la pochette de Méphisto. Ce projet qui fit l’objet de nombreux pourparlers avec l’éditeur Deman, alla rejoindre aux oubliettes Nana, Mademoiselle Maupin, Germinie Lacerteux, le Balzac, le Hugo, le Musset dont il ne fit que le frontispice (douze états), et cette Collection Rops qu’il espéra réaliser avec Darzens. Du moins son œuvre entier resta pénétré de pure essence baudelairienne.

Baudelaire, toutefois, eut dans l’art un visage hermétique, pincé de mépris et d’ironie, et que n’eut point Rops derrière son art de blague amusée. Visiblement une hantise, on ne sait quelle conjecture d’un commerce avec les puissances maléfiques imprimait aux traits du poète un stigmate mystique, violent et morne. La bouche s’effilait en plaie : le front jaillissait comme une falaise au bord d’un gouffre ; le regard était une épée de diamant noir.

« Baudelaire, qui devait être avec Barbey d’Aurevilly et Rops, le dernier diabolisant d’une époque qui ne croyait plus au diable, dégageait bien mieux qu’eux l’impression physionomique du satanisme. Barbey, d’une beauté élégante et cavalière, ne fut peut-être qu’un dandy de la damnation : il sem-