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Nul artiste d’aucun temps n’exprima comme lui ce qui se pourrait appeler le mal vénérien des âmes si on ne craignait rechercher une ambiguïté un peu subtile. Au point de son œuvre où nous touchons, un pessimisme noir va l’emplir d’un sardonisme tragique. L’amour, sous le masque de la luxure et de la mort, y aura des traits spéciaux et définitifs. Il les manifestera avec la véhémence d’un homme que l’amour aurait lui-même mené aux portes du tombeau. La colère enflammée des ermites, la scolastique envenimée d’un théologien, le zèle sombre d’un inquisiteur torturant de la chair vive sur des grils semblent se confondre alors dans les accents terribles de la souffrance et de la perdition. L’acide bouillonne et mord le cuivre en profondeur comme un poison, comme le virus de l’amour. Il semble que l’émanation sulfurique qui s’en volatilise dût ressembler à la fumée d’un sortilège et sentir le roussi.

C’est qu’en effet c’est ici la cuisine du Diable lui-même avec les curreys et les poivres longs et toutes les épices des ragoûts les plus salacement condimentés. On est bien dans l’hôtellerie des péchés capitaux, avec ce péché plus gros qui est la folie de la chair pour la chair, et auquel prennent feu tous les autres. Sous le réchaud où mitonne la lubrique mixture, la braise pétille, attisée par la bouche invisible qui souffle du fond de l’ombre. Tout est imaginé pour fourgonner l’antique gourmandise du plaisir. La faim libertine est titillée et tantalisée par les excitants diligents du désir, de l’effroi et des damnables délectations.

L’Œuvre entier du grand artiste est ainsi dévolu aux Puissances maléfiques : il dégage une odeur de soufre et il est plein de vertiges. C’est sa grandeur et sa monstruosité de surplomber notre notion moderne de la décence et de la moralité. Il projette par-dessus ce temps la grande ombre aux cornes de bouc et aux pieds griffus, redoutée des âges. Il perpétue la conception théologique et médiévale du mauvais rôdeur des ténèbres. Mais en donnant à l’Esprit du