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une chambre. Nous demandâmes une chaise : plus une chaise. Nous espérâmes une botte de paille : la paille servait de litière aux blessés et buvait le suint des agonies.

Quelqu’un soudain, en houseaux, le sac au dos, traversa.

— Rops !

— Vous !

Un des premiers, il était parti, devançant le flot qui, de partout en Belgique, s’était porté vers Bouillon, la Chapelle, Givonne, Sedan. C’était le deuxième jour après la bataille : tandis que nous arrivions, il revenait déjà, emportant au cœur l’horreur fraîche de l’hécatombe. Je ne l’avais plus revu depuis Bruxelles et il était là, devant moi, crispé, nerveux, souillé, ayant pataugé depuis le matin dans de l’urine, des viscères et de la terre pourrie, tout couvert de la puanteur du champ de bataille. Lui et l’ami Léon Dommartin qui l’accompagnait avaient marché comme de la troupe, les godillots gauchis, recrus de fatigue, portant leurs sacs d’artiste comme un fourniment militaire. Je dis notre détresse.

— J’ai votre affaire, fit-il. Venez. C’est à vingt pas.

Nous vîmes une humble boutique de modes avec la Thérèse en carton affublée d’un bonnet à rubans verts. On montait trois degrés, on poussait une porte : il y avait là deux vieilles demoiselles, comme des portraits d’un autre âge. L’une, dans le saisissement de la guerre qui bouleversait tout, avait oublié de défaire ses papillottes depuis l’autre samedi, et la seconde toujours frappait ses mains l’une dans l’autre, s’exclamait :

— Est-ce Dieu possible !

Elles nous crurent blessés et s’attendrirent. Par malheur, il n’y avait qu’un réduit là-haut sous les toits et qu’occupaient depuis leur arrivée, les deux routiers. Bah ! en se serrant un peu…

Je n’oublierai jamais le placard en lequel, tassés tous les quatre sur un