Page:Lemerre - Anthologie des poètes français du XIXème siècle, t2, 1887.djvu/83

Cette page a été validée par deux contributeurs.
73
AUGUSTE LACAUSSADE.


Dissipez de nos cœurs la froide obscurité,
Rayons qui ravivez et fécondez les sèves ;
Souffles des bois, ruisseaux vivants, flammes d’été,
Faites éclore en nous la fleur des premiers rêves !

Nos rêves, où sont-ils ? L’un sur l’autre brisés,
Nous les avons tous vus tomber, gerbe éphémère ;
Chacun de nous, pleurant ses jours stérilisés,
Porte en secret le deuil d’une auguste chimère.

Celui-ci dans l’amour et cet autre dans l’art,
Ceux-là plus haut encore avaient placé leur vie ;
Mais, trahis par leur siècle, enfants venus trop tard,
Eux-même ils ont éteint leur flamme inassouvie.

En vain autour de nous fleurissent les étés :
Esprits déçus, cœurs morts, il nous faut nous survivre !
À qui n’a plus l’amour que font les voluptés ?
Je bois avec horreur le vin dont je m’enivre !

Après la foi, le doute, hélas ! et le dégoût.
Plus de fleurs désormais, même au prix des épines !
De tout ce qui fut cher rien n’est resté debout :
Le désenchantement erre sur nos ruines !

Ruines sans passé, néant sans souvenir,
Ténèbres et déserts des jeunesses arides !
L’air du siècle a brûlé nos germes : l’avenir
Ne doit rien moissonner aux sillons de nos rides.

Chacun, dans le secret de ses avortements,
Sans avoir combattu médite ses défaites :
Heureux ceux qui sont nés sous des astres cléments !
Notre astre s’est couché, même avant nos prophètes.