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LÉON VALADE.


Un étroit cimetière où l’on sent que les morts
Sont au large, couchés sous les croix espacées,
Et dont les verts cyprès mettent comme un remords
Dans la sérénité molle de ses pensées…

Cet aspect grave, au lieu des gais tableaux mouvants
Que cherchait son regard, le gêne. Chose impie,
Que, pour tracer plus droit leur route, les vivants
S’en viennent côtoyer cette foule assoupie !

Mais l’ardent tourbillon de poussière et de bruit
Ne réveille pas un de ces dormeurs ; il passe
Leur immobilité fait songer et poursuit
Ceux qu’une fuite aveugle emporte dans l’espace.

Le grand repos des morts dit aux voyageurs las :
« Frères impatients, pourquoi courir si vite ?
« Sans tant de hâte vaine et de fatigue, hélas !
« N’arriverez-vous pas au but que nul n’évite ?

« Que le Destin vous tue en route, ou qu’à vos grés
« Il vous laisse vaguer d’un bout du monde à l’autre,
« La place importe peu ! bientôt vous dormirez,
« Comme nous, d’un sommeil aussi lourd que le nôtre. »

Et lui, le voyageur, pourrait dire à son tour :
« Sédentaires amis, certes, je vous envie
« Pour n’avoir pas connu l’amer et vain séjour
« Des villes, dans la mort non plus que dans la vie.

« Quand nos yeux seront clos et rompus nos genoux
« À force de souffrir et de lutter sans trêves,
« Qui sait si seulement notre sommeil, à nous,
« Ne sera pas fiévreux et plein de mauvais rêves ?