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l’ordre, la proportion et la clarté, qui passent justement, depuis des siècles, pour être nos qualités nationales. Ils le sont encore par cette large sympathie humaine que nous croyons aujourd’hui découvrir chez les étrangers et qui, pourtant, a toujours été une de nos marques les plus éminentes. Nous aimons aimer ; nous sommes peut-être le seul peuple qui soit porté à préférer les autres à soi. Mais cet enthousiasme même, avec lequel nous avons chéri et célébré l’humanité miséricordieuse du roman russe et du drame norvégien, ne montre-t-il pas que nous la portions en nous et que nous l’avons seulement reconnue ?

Toutefois, en la reconnaissant, il faudra songer à la refaire et à la garder nôtre. On peut craindre que la caractéristique de nos esprits ne finisse par s’atténuer ; qu’à force d’être européen, notre génie ne devienne enfin moins français. Faut-il voir là une conséquence indirecte des nouveaux programmes de l’enseignement secondaire, de l’affaiblissement des études classiques ? Les jeunes gens sont moins sensibles à la belle forme latine, moins choqués de l’absence de cette forme chez les étrangers. Cela me déplaît : car préférer décidément et systématiquement les œuvres étrangères, ce serait les préférer à cause de ce qu’il y a en elles ou d’inassimilable à notre propre génie, ou de vague, d’indéfini, d’informe et, au bout du compte, d’inférieur à ce génie même. Et alors, quelle humilité ! ou quelle duperie !