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nitente ; on l’entend gémir et chercher : elle se reprend finalement et se sauve par la charité ; charité plus ou moins active chez Tourguenief et Tolstoï, affinée chez Dostoïewsky jusqu’à devenir une passion douloureuse. »

2º « Avec la sympathie, le trait distinctif de ces réalistes est l’intelligence des dessous, de l’entour de la vie. Ils serrent l’étude du réel de plus près qu’on ne l’a jamais fait ; ils y paraissent confinés ; et néanmoins ils méditent sur l’invisible ; par delà les choses connues qu’ils décrivent exactement, ils accordent une secrète attention aux choses inconnues qu’ils soupçonnent. Leurs personnages sont inquiets du mystère universel, et, si fort engagés qu’on les croie dans le drame du moment, ils prêtent une oreille au murmure des idées abstraites : elles peuplent l’atmosphère profonde où respirent les créatures de Tourguenief, de Tolstoï, de Dostoïewsky. »

Voyons d’abord la pitié, la bonté russes. Deux épisodes, très connus, souvent cités, nous en fournissent, je crois, les deux expressions culminantes.

C’est, dans Crime et Châtiment, la rencontre de Sonia, la fille publique, et de Raskolnikof, l’assassin. Sonia fait son métier pour nourrir ses parents. Elle porte son ignominie et comme une croix et comme un saint-sacrement, car cette ignominie même est son mystérieux rachat. Raskolnikof est le seul homme qui ne l’ait pas traitée avec mépris : elle le voit torturé par un secret ; elle essaie de le lui arracher…