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aristocratique ; des femmes s’intéressent à lui ; des copies de ses vers circulent ; on commence à s’apercevoir qu’il est quelqu’un. Et les premières Méditations paraissent en mars 1820, sans nom d’auteur : une mince plaquette contenant seulement vingt-quatre pièces.

Voilà, en abrégé, la vie extérieure de Lamartine jusqu’à trente ans. Était-il donc si inutile de la connaître ? Vie de campagnard et de solitaire, mais non pas d’Éliacin, car ses solitudes sont coupées, tous les hivers, de « bordées » provinciales de fils de famille. Pas une influence, pas une direction : c’est un sauvageon qui pousse à sa fantaisie. Seulement, une correspondance assez copieuse avec deux ou trois amis intimes, très abandonnée, très naïve, où il apparaît surtout qu’il a un fond d’âme très noble, qu’il souffre de ne rien faire, de n’être rien « à son âge », et qu’il est toujours en gésine de quelque chose, sans savoir au juste de quoi. J’estime qu’il faut bénir cette oisiveté rêvasseuse et ce malaise qui le conduisirent jusqu’à la trentaine. Je suis charmé qu’il n’ait pas été précoce. Jugez ce qu’il put accumuler en lui d’impressions, de sentiments et d’idées. Il est excellent d’avoir vécu, ou même, simplement, de s’être laissé vivre, avant d’écrire. C’est sans doute parce qu’il ne produisit rien jusqu’à trente ans que Lamartine put improviser avec magnificence jusqu’à quatre-vingts. Musset, qui écrivit d’admirables vers à dix-huit ans,