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ou la trahison d’une personne chèrement aimée, le simple est secoué tout entier, ne s’appartient plus, s’abandonne volontiers aux démonstrations bruyantes ; mais souvent, s’il souffre avec violence, il se console avec rapidité. L’artiste, habitué à regarder, et pour qui toutes choses semblent « se transposer » et n’être plus, à un certain moment, « qu’une illusion à décrire » [1], observe malgré lui ce qu’il sent, n’en est pas possédé, démêle et se définit son propre état, trouve peut-être quelque « divertissement » [2] dans cette étude, et tantôt accueille la pensée que tout est muance et spectacle et que tout, par conséquent, est vanité, tantôt songe qu’il y a dans son cas quelque chose de commun à tous les hommes et aussi quelque chose d’original et de particulier qui, traduit, transformé par le travail de l’art, pourrait intéresser les autres comme un curieux échantillon d’humanité. Et peut-être qu’en effet cela lui est un allégement, mais souvent aussi cette étude lui fait découvrir et sentir de nouvelles raisons et de nouvelles manières, plus déliées, d’être malheureux. Il y a des résignations, même des ironies, singulièrement douloureuses.

Et quand bien même le simple souffrirait davantage, en quoi cela lui donnerait-il sur l’artiste la supériorité morale que paraît lui accorder M. Deschanel ? Mais tout ce qu’on peut dire, c’est que les souffrances de l’un et de l’autre ne sont pas de la même

  1. Flaubert, Préface des Poésies de Louis Bouilhet.
  2. Pascal.