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  Des races qu’il prime aujourd’hui,
  Et son globe natal ne peut lui faire honte ;
  Car la terre en ses flancs couva l’âme qui monte
    Et vient s’épanouir en lui.

  La matière est divine ; elle est force et génie ;
  Elle est à l’idéal de telle sorte unie
    Qu’on y sent travailler l’esprit,
  Non comme un modeleur dont court le pouce agile,
  Mais comme le modèle éveillé dans l’argile
    Et qui lui-même la pétrit.

  Voilà comment, ce soir, sur un astre minime,
  Ô Soleil primitif, un corps qu’un souffle anime,
    Imperceptible, mais debout,
  T’évoque en sa pensée et te somme d’y poindre,
  Et des créations qu’il ne voit pas peut joindre
    Le bout qu’il tient à l’autre bout.

  Ô Soleil des soleils, que de siècles, de lieues,
  Débordant la mémoire et les régions bleues,
    Creusent leur énorme fossé
  Entre ta masse et moi ! Mais ce double intervalle,
  Tant monstrueux soit-il, bien loin qu’il me ravale,
    Mesure mon trajet passé.

  Tu ne m’imposes plus, car c’est moi le prodige
  Tu n’es que le poteau d’où partit le quadrige
    Qui roule au but illimité ;
  Et depuis que ce char, où j’ai bondi, s’élance,
  Ce que sa roue ardente a pris sur toi d’avance,
    Je l’appelle ma dignité…

L’homme veut que ce long passé, que ce travail mille et mille fois séculaire dont il est le produit suprême soit respecté dans sa personne et dans celle des autres. La justice est que chacun soit traité selon sa dignité. Mais les dignités sont inégales ; le grand triage n’est pas fini ; il y a des retardataires. Des