Page:Lemaître - Jean Racine, 1908.djvu/152

Cette page n’a pas encore été corrigée

Pyrrhus sens dessus dessous ; et il est clair qu’Andromaque ne l’ignore pas. Et c’est très bien ainsi. Cette finesse féminine parmi tant de vertu et de douleur et une aussi parfaite fidélité conjugale, il me semble que cela fait une combinaison exquise, et hardie, et vraie.

Et puis quoi ! Pyrrhus est jeune, beau, illustre, et généreux en somme. Il s’expose aux plus grands dangers pour défendre le fils d’Andromaque. Andromaque peut haïr le fils d’Achille et celui qui a tué tant de Troyens : mais la personne même de Pyrrhus, je crois qu’Andromaque ne la hait point.

Et la preuve, c’est qu’aussitôt que Pyrrhus est mort à cause d’elle, Andromaque se met à l’aimer. Je ne dis pas seulement qu’elle lui est reconnaissante et qu’elle le pleure par convenance : je dis qu’elle l’aime. Cela ressort (oh ! Racine n’est point timide) d’une scène du cinquième acte, qui était dans le premier texte d’Andromaque et dans l’édition de 1668. Après le meurtre de Pyrrhus, Oreste, allant rendre compte à Hermione de sa mission, amenait avec lui Andromaque de nouveau captive. Et Andromaque disait à Hermione :

… Je ne m’attendais pas que le Ciel en colère
Pût sans perdre mon fils accroître ma misère
Et gardât à mes yeux quelque spectacle encor
Qui fît couler mes pleurs pour un autre qu’Hector.
Vous avez trouvé seule une sanglante voie
De suspendre en mon cœur le souvenir de Troie.
Plus barbare aujourd’hui qu’Achille et que son fils,
Vous me faites pleurer mes plus grands ennemis ;