Je lui dois tant ! C’est par lui que m’a été soufflée au cœur cette passion qui m’a si souvent consolé, charmé, exalté, calmé, même guéri, et il me l’avait si chevillée dans le corps, qu’elle dure toujours, et qu’après cinquante ans de mariage avec l’escrime, je l’aime comme au premier jour et qu’elle m’aime encore un peu ; mais que parlé-je de moi ? croiriez-vous que ce terrible homme, à soixante-quinze ans passés, travaillait encore de huit heures du matin à six heures du soir, qu’il était encore maître dans trois grands lycées de Paris, et que Robert aîné, qui est son véritable héritier légitime, me disait, qu’il ne connaissait encore personne capable de battre Bertrand dans un assaut de cinq minutes. Je m’arrête, parce que je ne m’arrêterais jamais, et je résume tout en un mot : Bertrand fut un homme de génie dans son art.
Robert avait dix-huit ans quand je croisai le fer avec lui pour la première fois, chez Bertrand. Jamais je ne vis contraste aussi saisissant qu’entre ces deux hommes. La nature avait donné à Bertrand tous les dons naturels du corps ; Robert n’en reçut aucun. Grosse tête, chevelure crépue, figure à larges pommettes ; taille petite, épaisse et courte ; jambes arquées, démarche dandinante : sa personne était le