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c’est son fils. Et ma gratitude infinie va de l’un à l’autre. Je vous le dis, monseigneur, ces deux hommes sont à moi. Et je vous demande : dois-je expliquer à tous ici présents quelle dette j’ai contractée envers eux ? Faut-il que je parle ?

D’un geste de son bras elle enveloppa les cavaliers immobiles, les mignons stupéfaits, la foule maintenant silencieuse, haletante devant cette scène. Le maréchal avait longuement tressailli. Il eut un haut-le-cœur de révolte. Ses yeux sanglants regardèrent, farouches, autour de lui, puis revinrent à Jeanne de Piennes. Et sous son regard à elle, sous ce regard limpide, il se courba, vaincu… vaincu en apparence, car un sourire funeste glissa sur ses lèvres décolorées. D’une voix basse, rauque, à peine perceptible, il répondit :

— Ces deux hommes sont à vous, madame… prenez-les !…

Et sous ses coups de saccade violente, son cheval recula jusqu’aux maisons d’en face ; mais là, il s’arrêta, et Henri demeura présent… un nouveau sourire fugitif et terrible tordit sa bouche. Jeanne de Piennes s’était retournée vers le capitaine des gardes du duc d’Anjou.

— Monsieur, dit-elle, vous accomplissez ici une mission…

— Ordre du roi, madame ! fit le capitaine d’une voix ferme. Je dois arrêter ces deux gentilshommes…

— Monsieur, je m’appelle Jeanne, comtesse de Piennes, duchesse de Montmorency…

Le capitaine s’inclina profondément. Il y eut un frisson parmi les assistants, telle avait été l’amertume qui avait éclaté dans ces quelques mots, — l’amertume et aussi la forte volonté.

— Je vous suis une caution vivante, poursuivit Jeanne de Piennes. Ma parole vous répond des deux prisonniers.

— S’il en est ainsi, madame, dit le capitaine, à Dieu ne plaise que je mette en doute la caution de haute, noble et puissante dame de Piennes et de Montmorency. Et si les deux prisonniers ne doivent pas quitter cette maison…

— Ils ne la quitteront pas, monsieur !

— J’obéis, madame. J’ajoute : je suis heureux d’obéir, car ce sont deux braves.

Jeanne de Piennes s’inclina et se retourna vers les deux blessés qui, s’étant relevés, assistaient à cette partie de la scène en faisant d’héroïques efforts pour se tenir debout. Aux derniers mots du capitaine, d’un même mouvement, ils remirent leurs épées aux fourreaux. Jeanne de Piennes s’avança vers le vieux Pardaillan :

— Monsieur, dit-elle de sa voix douce et fière, voulez-vous me faire le grand honneur de vous reposer dans ma pauvre maison ?…

Elle tendit sa main. Le vieux routier, bouleversé d’émotion, s’appuya sur cette main, et tous les deux entrèrent ainsi dans la maison.

Alors, d’un geste timide, Loïse présenta sa main au chevalier, Il la saisit en frissonnant et se redressa de toute sa taille. Déchiré, sanglant, superbe, il apparut un instant comme le lion qui, après la victoire, conduit sa lionne hors du champ de bataille.

La vision disparut. La porte s’était refermée sur Loïse et le chevalier…

— Capitaine ! gronda Henri, vingt gardes devant cette maison, nuit et jour ! Vous me répondez sur votre tête des prisonniers… et des prisonnières !…

— J’allais donner mes ordres, monseigneur ! répondit le capitaine d’un ton hautain.

— Faites donc !… Et fasse votre bonne étoile que la dame de Piennes, qui s’intitule à faux duchesse de Montmorency, vous soit une bonne caution jusqu’au bout !

Le capitaine prit rapidement ses dispositions : les morts et les blessés furent enlevés ; on envoya chercher du renfort ; et bientôt vingt gardes s’installaient devant la maison qui devait être surveillée nuit et jour.

Au loin, les canons du Louvre tonnaient.



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Comment Jeanne de Piennes et sa fille Loïse se trouvaient dans cette maison de la rue Montmartre, comment et pourquoi elles intervinrent dans la scène que nous venons de retracer, c’est ce que le lecteur avait le droit de se demander, et c’est ce que nous avons le devoir de lui dire.

Le séjour des deux prisonnières dans le logis de la rue de la Hache avait été aussi triste qu’on peut l’imaginer ; mais la souffrance morale n’avait été compliquée d’aucune souffrance physique. Alice de Lux se maintenait dans son rôle de geôlière ; elle s’y maintenait avec honte, avec désespoir, et elle tâchait au moins d’atténuer ce qu’il y avait d’odieux dans ce rôle. Dans les rares occasions où elle eut à s’entretenir avec la dame de