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en appuyant la pointe sur le bout de sa botte, il se pencha légèrement, appuyé des deux mains sur la garde en croix et se mit à rire d’un rire aigre et désespéré. Sa suprême pensée à ce moment était :

— Plutôt que d’aller pourrir au fond de quelque cachot d’où je ne sortirais que pour marcher à Montfaucon ou à la place de Grève, mourons ici et montrons à ces freluquets comme il faut savoir tomber avec élégance !

Maugiron prit la parole et dit :

— Monsieur est dur à cuire ! Il a une couenne qui résiste à la grillade, sans quoi il fût resté dans les cendres du cabaret de la Truanderie où nous l’avons enfumé, n’est-ce pas, messieurs ?

Il y eut un éclat de rire ; avant d’assommer l’animal, ils étaient décidés à s’en amuser. Pardaillan répondit :

— Si ma couenne fut dure à cuire, ta face de mignon fut facile à ébouillanter, si je ne me trompe ; un peu plus, je te faisais frire dans l’huile bouillante comme un gentil merlan ; tu y perdis quelques écailles.

Maugiron eut un geste de rage.

— Sus ! cria-t-il en poussant son cheval.

Mais un geste de Damville l’arrêta. Lui aussi voulait placer son mot.

— Eh messieurs ! ne voyez-vous pas que nous avons affaire à un âne revêtu de la peau du lion ? Sur ma parole, le truand a dévalisé quelque armoire de mon hôtel pour se vêtir décemment. :

— Ah ! monseigneur, trompetta Pardaillan, tu fais erreur, il me semble ! L’âne, c’est bien toi, et le lion, c’est moi. La preuve, et je te défie de la réfuter, la preuve, c’est que je voulus me ganter chez toi sans y réussir ; je ne trouvai que gants pour sabots aucun n’allait à ma griffe. Et pourtant, j’essayai tous les gants de ton étable, tous, te dis-je, jusqu’à celui qui est encore cloué à ta porte !…

— Misérable chien ! hurla Damville.

— Entendons-nous ! fit Pardaillan. Est-ce lion ? Est-ce chien ? Est-ce âne ?

— Je déchirerai ta carcasse à coups de lanière !

— Tiens ! Je croyais que ton arme, c’était l’épée. Pardon ! c’est la lanière, comme un valet !

— Monsieur ! votre épée ! gronda encore le capitaine d’Anjou. Au nom du roi, votre épée !

— Dans ton cœur ou ton ventre ! à ton choix ! grinça Pardaillan.

— Finissons-en ! dit Damville.

Cette scène avait duré beaucoup moins de temps qu’il n’en faut pour la lire. Il est à noter qu’à chacune de ces insultes qui se croisaient et cliquetaient comme des épées qui prennent l’engagement, le cercle entier avançait d’un pas nouveau et se resserrait autour de Pardaillan, toujours debout contre la porte. Au moment où le maréchal commanda d’en finir, les cavaliers avancèrent encore.

Ils avaient tous l’épée à la main.

Derrière ce cercle, à droite et à gauche, la rue était noire de monde ; une foule bruyante, agitée, nerveuse, dans le bruit lointain des fanfares, dans le grondement des cloches et des canons, cherchait à voir ce qui se passait ; aux fenêtres, des centaines de curieux se penchaient.

— Ils le prendront ! criait l’un.

— Mort ou vif ! dit une femme qui s’intéressait aux mignons.

— Noël pour la moustache grise ! glapit un gamin juché sur une corniche d’un premier étage.

Pardaillan salua le gamin d’un geste et d’un sourire.

— En avant ! gronda Henri de Montmorency.

— Un instant ! fit une voix fielleuse. Monsieur que voici est le père d’un certain chevalier de Pardaillan qui a osé insulter Sa Majesté le roi jusque dans son cabinet. Prenons-le vivant ! Et la torture saura bien lui faire dire où est son fils !

C’était Maurevert qui parlait ainsi. Le conseil était terrible. Les yeux de Damville jetèrent une lueur sanglante. Ce chevalier, ce fils, comme le vieux, connaissait le secret de sa conspiration. S’il pouvait les anéantir tous deux du même coup !… Au moment où les cavaliers éperonnant leurs chevaux, se précipitaient sur Pardaillan, le maréchal cria :

— Oui ! oui ! vivant ! Et qu’il dise où est son fils !…

— Le voilà ! tonna une voix vibrante, rugissante, formidable.

À cette seconde, il y eut dans la troupe un désordre inexprimable : on vit l’un des cavaliers tomber, rouler dans la poussière de la chaussée ; et, à sa place, sur son cheval, apparut un jeune homme à la figure figée dans un sourire d’intense ironie, mais aux yeux flamboyants ; et ce nouveau venu, par une audacieuse manœuvre, affolait le cheval dont il venait de s’emparer, lui labourant les flancs à coups d’éperon, lui brisant la bouche à coups de furieuses saccades sur le mors ; la bête hennissait de douleur, se mettait à ruer, à se cabrer, faisait feu des quatre sabots ; le cercle se reculait, la foule