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On eût dit qu’une partie du cortège royal faisait demi-tour, revenant sur ses pas. Une vingtaine de cavaliers, au grand trot, accouraient sans s’inquiéter des cris de terreur des femmes et des blasphèmes des bourgeois. Il y eut une fuite éperdue, un reflux désordonné des vagues populaires.

Et Pardaillan, accroché à son marteau, vit couler le flot sans comprendre les causes de cette fuite. Enfin, il se vit seul, tout seul contre cette porte. Alors, il lâcha le marteau et se retourna. Or, dans le mouvement brusque qu’il exécuta à cet instant, le marteau frappa sur son clou arrondi. Le coup résonna sourdement dans l’intérieur de la maison.

Pardaillan se retourna donc, et demeura tout ébaubi : il se trouvait seul dans un grand demi-cercle dont la corde était formée par les maisons de la rue et dont la ligne de circonférence était formée par des cavaliers sur un rang. Le cavalier qui se trouvait au milieu de cette ligne était grand, superbe, noir de barbe, avec des yeux durs ; il portait un costume d’une sévère magnificence. C’était Henri de Montmorency, duc de Damville, maréchal des armées du roi.

Près de lui, un homme au sourire mauvais couvait Pardaillan d’un regard mortel. C’était Orthès, vicomte d’Aspremont, qui était monté à cheval pour aller au-devant de son maître et avait pris place dans le cortège. À l’aile droite de la courbe, se trouvaient Maurevert et Saint-Megrin. À l’aile gauche, Quélus et Maugiron. Les intervalles étaient remplis par des cavaliers qui avaient suivi les mignons sur l’ordre du duc d’Anjou.

Pardaillan se redressa. Son long corps maigre et sec parut s’allonger encore. Ses yeux se plissèrent et firent lentement le tour de cette assemblée. Les talons joints comme à la parade, les jambes raides, le poing gauche sur la hanche, il se découvrit de la main droite, traça un large salut de sa toque dont la plume noire parut vouloir balayer tout ce monde, puis il remit sa toque sur sa tête, l’assura sur le coin de l’oreille d’un coup de poing, et d’une voix de fanfare, il dit :

— Bonjour, messieurs les assassins !

Un murmure féroce parcourut le rang des cavaliers. Seul, Damville demeura froid et terrible. Mais l’un d’eux fit un geste, et tous se turent : c’était le capitaine des gardes du duc d’Anjou. Il dit :

— Monsieur de Pardaillan, votre épée !

— Allons donc ! claironna la voix de Pardaillan. Tu parles comme si tu étais Xerxès en personne. Je te répondrai comme si je m’appelais Léonidas, ni plus ni moins ! Tu veux mon épée : viens la prendre !

En même temps, il tira sa rapière en un de ces gestes flamboyants dont avait hérité son fils, la maintint un instant toute droite au-dessus de sa tête, puis,