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la maison… mais nul n’osa l’interroger, car dès que quelqu’un faisait mine de s’arrêter devant lui, l’inconnu lui dardait un tel regard, si dur, si impérieux, que le quelqu’un s’éloignait en toute hâte.

Henri de Montmorency ne bougeait pas.

Parfois un frisson l’agitait.

Tout à coup, là-haut, une fenêtre s’ouvrit, une tête de femme se montra l’espace d’une seconde ; mais cette seconde avait suffi, Henri de Montmorency étouffa un cri…c’était Jeanne de Piennes !…

Note




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Il était neuf heures du soir. Dans la maison du Pont de bois où nous avons déjà introduit nos lecteurs, Catherine de Médicis et l’astrologue Ruggieri attendaient le chevalier de Pardaillan auquel, on s’en souvient, le Florentin avait donné rendez-vous.

La reine écrivait à une table, tandis que l’astrologue se promenait à pas lents, venant de temps à autre jeter un coup d’œil sur ce que Catherine écrivait, sans chercher d’ailleurs à cacher cette indiscrétion, mais comme un homme qui a le droit d’être indiscret— ou qui le prend.

Un monceau de lettres déjà cachetées étaient entassées dans une corbeille.

Et Catherine écrivait toujours. À peine une lettre finie, elle en commençait une autre.

La prodigieuse activité de cette reine se dépensait ainsi. Son esprit n’avait pas une minute de tranquillité. Avec une souplesse vraiment étonnante, elle passait d’un sujet à un autre presque sans réflexion préalable.

C’est ainsi qu’après une lettre de huit pages serrées où elle exposait à sa fille, la reine d’Espagne, la situation des partis religieux en France et où elle lui demandait de décider le roi d’Espagne à intervenir, elle écrivait à Philibert Delorme, son architecte, pour lui donner des indications d’une lucidité et d’une précision extraordinaires sur le palais des Tuileries ; puis elle écrivait à Coligny en termes caressants pour l’assurer que la paix de Saint-Germain serait durable ; puis elle achevait un billet à maître Jean Dorat ; elle écrivait ensuite au pape, puis au maître de cérémonies pour lui dire d’organiser une fête. De temps à autre, et sans s’interrompre, elle jetait un mot bref.

— Ce jeune homme viendra-t-il ?

— Certainement. Pauvre, sans appui, il ne voudra pas manquer l’occasion de faire fortune.

— C’est une rude épée, René.

— Oui, mais que voulez-vous faire de ce spadassin ?

Catherine de Médicis posa la plume, jeta un profond regard sur l’astrologue et dit :

— J’ai besoin d’hommes, René. De grandes choses sont en l’air. Il me faut des hommes… et surtout j’ai besoin d’un bon spadassin, comme tu dis.

— Nous avons Maurevert.

— C’est vrai ; mais Maurevert m’inquiète. Il en sait trop long maintenant. Et puis Maurevert a été touché à son dernier duel. Son bras a tremblé. Vienne une circonstance tragique, vienne une de ces secondes terribles où le sort d’un empire repose sur une épée… que cette épée tremble un millième de seconde… que le coup s’égare… et l’empire s’écroule peut-être… René, le bras de ce jeune homme ne tremble pas !

— Il sera à nous, rassurez-vous, Catherine.

La reine cacheta les dernières lettres qu’elle venait d’écrire et dit :

— À propos, René, l’hôtel que je t’ai fait construire est terminé. On m’en a remis les clefs ce matin.

— J’ai vu, ma reine, j’ai vu. J’en ai fait le tour par la rue du Four, la rue des Deux-Écus et la rue de Grenelle. C’est tout l’emplacement de l’hôtel de Soissons. Vous faites magnifiquement les choses.

— Que dis-tu de la tour[1] que je t’ai fait élever ? fit Catherine en souriant.

— Je dis que jamais Paris n’aura vu une telle merveille de hardiesse élégante. C’est un rêve, pour un homme comme moi, que de pouvoir me rapprocher des étoiles, de dominer les flots de toits et la mer de lire de plus près ce grand livre que le Destin a tracé au-dessus de nos têtes, d’entrer pour ainsi dire de plain-pied dans les douze maisons célestes, et de n’avoir qu’à étendre la main pour toucher le zodiaque !…

Mais déjà l’esprit de Catherine suivait une autre piste.

— Oui, reprit-elle lentement, ce jeune homme me sera utile. As-tu essayé, René, d’établir sa destinée par la sublime connaissance que tu as des astres ?

— Divers éléments me manquent encore ; mais j’y arriverai. Au surplus, ma reine, pourquoi vous inquiéter à ce point

  1. Il s’agit de la tour qu’on voit encore à la Bourse du commerce. (Note de M. Zévaco.)