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convictions, il devait aller se fondre sans s’y dissoudre.

Au lieu de croire dans l’univers, comme vous, Monsieur, à une simple série de formes qui s’engendrent les unes les autres et s’évanouissent aussitôt que formées, disparaissant dans une sorte d’éternel tonneau des Danaïdes que l’éternelle Nature renouvelle éternellement pour l’éternelle mort, il croit que rien ne se perd, que tout s’accumule et se combine lentement, invisiblement, mais sûrement pour l’entente universelle, pour l’alliance finale du ciel et de la terre. A mesure qu’il avançait dans la vie, il se regardait comme ne faisant plus partie ni moralement, ni intellectuellement, ni physiquement même de notre humanité courante ; il ne reconnaissait même plus la supériorité des éléments sur l’homme. Il se croyait de même source, de même essence, de même action. Ni les années, ni les saisons, ni le chaud, ni le froid, n’existaient pour lui, si bien que Zéphyre, jaloux, l’a traîtreusement frappé un soir de printemps, pendant qu’il se promenait dans son jardin, en compagnie d’un autre géant qui n’est pas loin de vous, Monsieur, à votre droite, et que le poète eût certainement chanté un jour comme il a chanté Eviradnus et Boos.

Quant à moi, après avoir passé, malgré d’autres travaux, plus de six mois dans l’intimité de cet esprit, qui n’a son pareil, en ce qui le caractérise, comme vous dites, dans aucun temps, dans aucun pays, dans aucune littérature, je me suis souvent demandé quelle place pourrait lui être faite dans la mémoire des hom-