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ni dans la proportion de l’homme ; ils sont toujours au-dessus ou au delà de l’humanité, quelquefois au rebours, pour ne pas dire à l’envers. Cela tient sans doute à ce que la nature a pour lui des aspects qu’elle n’a pour aucun autre. Son œil grossit tout ; il voit les herbes hautes comme des arbres ; il voit des insectes grands comme des aigles. L’inanimé a une bouche, l’invisible, des yeux. Nous sommes pris entre les voix de l’un et les regards de l’autre. C’est une évocation continuelle, c’est une vibration incessante, c’est un orchestre sans fin de harpes, de clairons, de flûtes que le Maestro dirige du haut du Thabor, et auquel on dirait qu’il donne le la avec la trompette du jugement dernier. Il a nécessairement vu l’humanité dans les proportions de ce décor, dans le ton de cette symphonie, et il nous laisse des titans, des fantômes, des monstres, des ombres qui s’agitent, en silhouettes colossales, dans un monde à part, entre les contes de fées de Perrault et les visions d’Ézéchiel. Quant à sa philosophie, elle est bien simple. A force de demander aux manifestations extérieures, aux rumeurs de l’océan, aux bruissements des forêts, aux ombres des cavernes, au rayonnement des astres, aux chansons des nids, au silence des pierres, l’explication du mystère divin que sa religion traditionnelle ne pouvait plus lui donner, il a entamé avec la nature entière un colloque qui n’a plus cessé. A qui va-t-elle parler et qui va nous parler d’elle maintenant qu’elle a perdu son grand interlocuteur ?