Page:Leconte de Lisle - Discours, 1887.djvu/76

Cette page n’a pas encore été corrigée

tions dormir son dernier sommeil là où les hommes ne viennent pas le troubler de leurs querelles ou le souiller de leur ingratitude : sur un rocher comme Chateaubriand, sous un saule comme Musset, ou mieux encore près de sa fille comme Lamartine ; mais l’auteur de l’Art d’être grand-père qui mettait quelquefois de l’art où il n’en fallait plus, a oublié de dire, dans ce beau livre, qu’il voulait reposer auprès de ceux qui l’avaient aimé.

Jamais empereur romain n’a eu pareil triomphe pendant sa vie, jamais destructeur de peuples ou bienfaiteur des hommes n’a eu pareille apothéose après sa mort. Celui qui, a quinze ans, s’était juré d’être le plus grand poète de son temps et de son pays, a pu se dire qu’il l’a été ; celui qui, plus tard, a conçu l’espérance secrète d’être le plus grand homme de tous les pays et de tous les temps, a pu vivre ses dernières années et sa dernière nuit en croyant qu’il l’était. Tout a concouru, contribué, conspiré à le convaincre qu’il avait réalisé son espérance superbe. C’était l’important pour lui. Quand un dévot meurt convaincu qu’il aura la béatitude éternelle, c’est comme s’il l’avait véritablement. Il y a là une minute qui équivaut à l’éternité, qui la contient peut-être.

Maintenant, que va-t-il advenir de cette œuvre immense, touffue, troublante, disparate, splendide, faite des matériaux les plus durs, les plus brillants, les plus précieux, les plus fragiles ? Il en adviendra ce qu’il advient de toutes les œuvres de l’esprit