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on jette un voile noir sur l’Arc de triomphe, ne pouvant le jeter sur toute la cité. Les « dragons chevelus » torches en mains, font la veillée du corps. L’immense murmure d’une population qui ne se couche pas remplace la prière de l’humble prêtre et berce l’âme du poète comme l’Océan a si souvent bercé son esprit et rythmé sa pensée. On écarte César pour lui dresser un autel ; on congédie une sainte pour lui élever un tombeau. Plus d’un millions d’hommes font cortège ou font la haie au petit char des pauvres, dernière antithèse du poète, suivi d’énormes chariots chargés de couronnes dont le nombre et le poids useront les marches du Panthéon. Et, pendant ce temps, je me rappelle que sept personnes seulement, dont j’étais, sont parties de Paris pour accompagner jusqu’au cimetière de Saint-Point l’auteur de Jocelyn, des Méditations et de la Chute d’un Ange, et que trente-trois fidèles seulement, dont j’étais encore, ont suivi jusqu’au Père Lachaise l’auteur de Rolla, des Nuits et de l’Espoir en Dieu. Victor Hugo était revenu de l’exil demander un tombeau à la France. La Patrie reconnaissante le lui a donné au Panthéon, cette fosse commune de la gloire, au milieu des ombres de Voltaire, de Jean Jacques, de Mirabeau et de Marat, car leurs ombres seules habitent maintenant ces voûtes auxquelles les temps, qui ont leurs variations, eux aussi, ont repris leurs cendres. J’aimerais mieux voir l’auteur des Voix intérieures et des Contempla-