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Napoléon n’est plus, pour lui, que Bonaparte ; il n’aura été décidément qu’un sujet de poème. Voilà le poète, tout seul, entre la mer et le ciel, le voilà qui s’enivre d’ambition solitaire, qui se grise d’immortalité préventive, qui se croit le grand justicier du monde, le seul arbitre de la conscience humaine. Il n’est plus à Sainte-Hélène comme Napoléon ; il se voit, sur le Sinaï comme Moïse, sur la montagne, comme Jésus, à Pathmos, comme Saint Jean ; il sait le mot de l’infini, il croit le savoir, il nous le dit :

Le moi latent de l’infini patent, voilà Dieu. Dieu est l’invisible évident. Le monde dense c’est Dieu. Dieu dilaté c’est le monde.

Nous qui parlons ici, nous ne croyons à rien hors de Dieu. Dieu se manifeste à nous au premier degré à travers la vie de l’univers, et au deuxième degré à travers la pensée de l’homme. La deuxième manifestation n’est pas moins sacrée que la première.

La première s’appelle la nature, la deuxième s’appelle l’art. De là cette réalité : le poète est prêtre. Il y a ici-bas un pontife : c’est le génie.

Il ne lui reste plus qu’à ajouter : « Le génie c’est moi. » Il ne le dit pas ; mais il commence fermement à croire que le monde le dira pour lui. Et le monde va commencer à le dire. 1870 arrive. Ses dernières convictions triomphent ; il a donc eu raison de les avoir ; il a donc été le Mates antique. Le trône croule, l’autel s’ébranle, la papauté chancelle, le vieux monde social tremble. Le poète qui a fulminé comme Juvénal, qui a prophétisé comme Isaïe, rentre dans sa patrie avec ce chant héroïque :