Page:Leconte de Lisle - Discours, 1887.djvu/72

Cette page n’a pas encore été corrigée

y parvenir, il chantera celui qu’il ne pourrait pas faire oublier. Ce sera son moyen de l’égaler, de le dépasser peut-être. Homère n’est-il pas maintenant plus grand qu’Achille ?

Alors les odes, à la glorification de Napoléon, se succèdent : odes à la colonne, à Napoléon II, où se trouve ce vers déjà trop oublié : "Oh ! n’exilons personne ! oh ! l’exil est impie !" Odes à l’Arc de triomphe, au retour des cendres de l’Empereur, et tant d’autres. Lui, toujours lui.

Enfin, quand il est exilé à son tour, qu’il choisit Guernesey qui sera son île d’Elbe d’où l’on revient ou son île de Sainte-Hélène où l’on meurt, mais oit, quoi qu’il arrive, il aura été à part, seul, plus grand dans l’horizon, comme il veut toujours l’être, que tous ses compagnons d’exil, quand il sera dans cette île où, si l’on ne vient pas exprès pour le voir, on ne pourra plus jamais venir sans penser à lui, il écrit ce livre sur Shakespeare, où il fait le dénombrement des éternels grands hommes, et il dit.

La diminution des hommes de guerre, de force et de proie, le grandissement indéfini et superbe des hommes de pensée et de paix ; la rentrée en scène des vrais colosses : c’est là un des plus grands faits de notre grande époque. Il n’y a pas de plus pathétique et de plus sublime spectacle ; l’humanité délivrée d’en haut, les puissants mis en fuite par les songeurs, le prophète anéantissant le héros, le balayage de la force par l’idée, le ciel nettoyé, une expulsion majestueuse.

Les traqueurs des peuples, les traîneurs d’armées, Nemrod, Sennachérib, Cyrus, Rhamsès, Alexandre, César, Bonaparte, tous ces immenses hommes farouches s’effacent.