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créatures mortelles, pour prouver sa grâce et sa force, pour se reposer au moment de ses travaux et de sa grandeur, mais il n’a aimé vraiment qu’une femme, la seule qui pût satisfaire ce mâle prodigieux : la Gloire ! A quinze ans il écrit sur son cahier de classe : Je serai Chateaubriand ou rien. A dix-neuf ans, dans la première ode de son premier recueil, le Poète dans les révolutions, il écrit :

Qu’un autre au céleste martyre
Préfère un repos sans honneur !
La gloire est le but où j’aspire.


Il a aimé la gloire jusqu’à croire que la popularité, cette gloire en gros sous, comme il dit dans Ruy Blas pouvait y ajouter quelque chose, jusqu’à ne jamais pardonner à quiconque ne reconnaissait pas la sienne et se permettait de la discuter. Plus tard, il a aimé la Liberté, ardemment, pour lui, et pour les autres, ce qui est rare, parce qu’il a compris que la Liberté seule pouvait lui donner la gloire telle qu’il la voulait, et qu’un simple poète ne pouvait aspirer à être au-dessus de tous, que dans une société démocratique où les hiérarchies conventionnelles et les suprématies de naissance et de tradition n’existent plus. Comment voulez-vous qu’une pareille imagination et un pareil tempérament, faits de toutes les forces de la nature, se laissent éternellement emprisonner dans des combinaisons humaines et des conventions sociales qui font, qui sont là pour faire obstacle à l’expression de leur