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rendre des chants, il a obéi à sa destinée, comme le fleuve qui coule, comme le vent qui souffle, comme le nuage qui passe, comme l’éclair qui luit, comme la mer qui gronde. Il est une force indomptable, un élément irréductible, une sorte d’Attila du monde intellectuel, allant dans tous les sens, à la conquête de ce qu’il voit et de ce qu’il veut, s’emparant de tout ce qui peut lui servir, brisant ou rejetant tout ce qui ne lui sert plus. »

C’est l’implacable génie qui n’a instinctivement souci que de soi-même. Il y a là une de ces fatalités originelles, par moment monstrueuses, dont quelques physiologistes se sont autorisés pour soutenir que le génie n’est qu’une forme resplendissante de la folie. Or, Victor Hugo a le caractère essentiel, inéluctable de cette folie sublime que la science n’arrivera cependant pas à faire rentrer dans la pathologie : il a l’idée fixe. Cette idée fixe, c’est tout simplement, dès qu’il arrive à l’âge de raison, de devenir le plus grand poète de son pays et de son temps, et, à mesure qu’il avance dans la vie, d’être le plus grand homme de tous les pays et de tous les temps. C’est de ce point de vue qu’il faut le considérer, à mon avis, si l’on veut s’expliquer ce qui ne paraît pas tout de suite explicable. A quinze ans, il monte dans sa tête, et il n’en redescend plus jusqu’à sa mort. C’est pour cela qu’il verra toujours les choses de si haut. L’unité qui ne sera pas dans ses actes ni dans son œuvre, sera dans sa volonté qui est de fer, et qu’il tendra vers le but où il marche. Ce but il ne le quittera pas des yeux