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Ah ! dans vos lits profonds quand je pourrai descendre,
Comme un forçat vieilli qui voit tomber ses fers,
Que j’aimerai sentir, libre des maux soufferts,
Ce qui fut moi, rentrer dans la commune cendre ;

Et toi, divine mort, où tout rentre et s’efface,
Accueille tes enfants dans ton sein étoilé ;
Affranchis-nous du temps, du nombre et de l’espace,
Et rends-nous le repos que la vie a troublé.


Voilà ce que vous nous rapportez pour nous régénérer après les trois mille ans de barbarie intellectuelle que nous avons traversés, selon vous, depuis Homère, Eschyle et Sophocle. Voilà l’éducation que les adeptes de la poésie telle que vous la concevez donneraient aux générations nouvelles en reprenant la direction des âmes : le vide de l’être, la soif de la mort. C’est la conclusion de l’Ecclésiaste, il y a plus de deux mille ans, et de Schopenhauer ces jours-ci. Êtes-vous sûr de ne pas retomber, sans vous en apercevoir, dans les révoltes et les blasphèmes de [...], dans les tristesses de René, dans les mélancolies d’Obermann ? Heureusement, faut-il vous dire toute ma pensée ? Je ne crois pas au véritable désir de mourir chez ceux qui, l’ayant exprimé, surtout en d’aussi beaux vers que ceux que je viens de citer, continuent à vivre. Toute cette désespérance ne me semble plus alors que littéraire. De toutes les choses que l’homme peut souhaiter, la richesse, la santé, l’amour, la renommée, la mort, la mort est justement la seule qu’il soit en son pouvoir de se procurer tout de suite, sans l’appui des dieux, sans le secours des hommes. Eh bien,