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verser. Tentative comme une autre. Tout est permis quand la sincérité fait le fond, d’autant plus que ce que vous avez conseillé aux poètes nouveaux de faire, vous l’avez commencé vous-même, résolûment, patiemment. Vous avez immolé en vous l’émotion personnelle, vaincu la passion, anéanti la sensation, étouffé le sentiment.

Vous avez voulu, dans votre œuvre, que tout ce qui est de l’humain vous restât étranger.

Impassible, brillant et inaltérable comme l’antique miroir d’argent poli, vous avez vu passer et vous avez reflété tels quels, les mondes, les faits, les âges, les choses extérieures. Les tentations ne vous ont pas manqué cependant, si j’en crois le cri que vous avez laissé échapper dans la Vipère. C’est le seul. Vous ne voulez pas que le poète nous entretienne des choses de l’âme, trop intimes et trop vulgaires. Plus d’émotion, plus d’idéal ; plus de sentiment, plus de foi ; plus de battements de cœur, plus de larmes. Vous faites le ciel désert et la terre muette. Vous voulez rendre la vie à la poésie, et vous lui retirez ce qui est la vie même de l’Univers, l’amour, l’éternel amour. La nature matérielle, la science, la philosophie vous suffisent.

Certes le firmament, le soleil, la lune, les étoiles, les océans, les forêts, les divinités, les monstres, les animaux sont intéressants ; mais moi aussi je suis intéressant, moi, l’homme. Mon moi qui vit, qui aime, qui pense, qui souffre, qui espère au point de croire à ce que rien ne lui prouve, ce moi, guenille je veux bien, mais guenille qui m’est