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qu’ils eussent jamais entendue, et leur proposait la morale la plus pure, la plus intelligible, la plus consolante et la plus profitable qui eût jamais été proclamée sur la terre. L’humanité se sentit tout à coup une âme nouvelle à la voix de certains rapsodes venus du petit pays de Judée, récitant et propageant, par le monde, leur poème qu’ils déclaraient divin, avec tant de conviction et d’enthousiasme, qu’ils se laissaient mettre en croix ou livrer aux bêtes plutôt que d’en désavouer un mot. Les poèmes religieux de l’antiquité s’effacèrent alors sinon de la mémoire, du moins de la conscience des hommes, comme au premier rayon du soleil s’éteignent les étoiles qui ne sont lumière que pour la nuit.

Ce que la Cène vit et ce qu’elle entendit Est écrit dans le livre où pas un mot ne change Par les quatre hommes purs près de qui l’on voit l’ange Le lion et le bœuf, et l’aigle et le ciel bleu. Cette histoire par eux semble ajoutée à Dieu, Comme s’ils écrivaient en marge de l’abîme ; Tout leur livre ressemble au rayon d’une cime ; Chaque page y frémit sous le frisson sacré ; Et c’est pourquoi la terre a dit : Je le lirai. Les peuples qui n’ont pas ce livre le mendient ; Et vingt siècles penchés dans l’ombre l’étudient. Voilà ce que Victor Hugo dit de ce petit livre dans la Fin de Satan, qui est la conclusion philosophique de la Légende des Siècles. A partir de ce fait, l’humanité a passé de l’idolâtrie du Beau à la religion du Bien. L’âme a ses besoins comme le corps et l’esprit. L’art qui, selon vous, doit être son propre but à lui-même, n’en crut pas