Page:Leconte de Lisle - Discours, 1887.djvu/39

Cette page n’a pas encore été corrigée

si les vers qu’il citait pouvaient seuls traduire l’impression causée par cette journée splendide :

Midi, roi des étés, épandu sur la plaine,
Tombe en nappes d’argent des hauteurs du ciel bleu.
Tout se tait. L’air flamboie et brûle sans haleine,
La terre est assoupie en sa robe de feu.


« Qu’est-ce que vous dites-là ? s’écria Victor Hugo, en entendant ces beaux vers qu’il ne se rappelait pas avoir faits.

— Ce sont des vers de Leconte de Lisle, répondit le jeune homme. » Votre nom était encore de ceux qui n’éveillaient pas de souvenir dans l’esprit du Maître. Il demanda à votre jeune confrère s’il savait le reste du morceau.

Le jeune homme le savait, comme bien d’autres le savent, même parmi les simples prosateurs, et, après avoir répété la première strophe, il continua ainsi :

L’étendue est immense et les champs n’ont point d’ombre ;
Et la source est tarie, où buvaient les troupeaux ;
La lointaine forêt, dont la lisière est sombre,
Dort, là bas, immobile en un pesant repos.

Seuls, les grands blés mûris, tels qu’une mer dorée,
Se déroulent au loin, dédaigneux du sommeil ;
Pacifiques enfants de la terre sacrée,
Ils épuisent sans peur la coupe du soleil.

Parfois, comme un soupir de leur âme brûlante,
Du sein des épis lourds qui murmurent entre eux,
Une ondulation majestueuse et lente
S’éveille, et va mourir à l’horizon poudreux.

Non loin, quelques bœufs blancs, couchés parmi les herbes,
Bavent avec lenteur sur leurs fanons épais,
Et suivent de leurs yeux languissants et superbes
Le songe intérieur qu’ils n’achèvent jamais.