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comme il entendait qu’on le fût de la sienne. La vive admiration qu’il professait si hautement, dont il a si souvent donné les raisons, pour ces esprits, l’absorbait, l’isolait, il faut bien le dire, à ce point qu’il vivait presque complètement en dehors de tout ce que l’on produisait autour de lui. Dans un livre qui le contient, autant qu’un livre peut contenir un pareil homme, dans William Shakespeare, il nomme ces grands esprits à plusieurs reprises : Homère, Eschyle, Job, Isaïe, Ézechiel, Lucrèce, Juvénal, Phidias, Tacite, Jean de Pathmos, Paul de Damas, Dante, Michel-Ange, Rabelais, Cervantès, Shakespeare, Rembrandt, Beethoven. Le grand Pelasge, dit-il, c’est Homère ; le grand Hellène, c’est Eschyle ; le grand Hébreu, c’est Isaïe ; le grand Romain c’est Juvénal ; le grand Italien, c’est Dante ; le grand Anglais c’est Shakespeare ; le grand Allemand, c’est Beethoven. Il n’y a pas, il n’y avait pas encore selon lui, de grand Français, quand il faisait ce dénombrement. Il laissait à l’avenir le soin de le trouver. Ces hommes constituaient pour Victor Hugo la cime de l’esprit humain. « Cette cime est l’idéal, dit-il, Dieu y descend, l’homme y monte. » Il ajoute :

Ces génies sont outrés, ceci tient à la quantité d’infini qu’ils ont en eux. En effet, ils ne sont pas circonscrits. Ils contiennent de l’ignoré. Tous les reproches qu’on leur adresse pourraient être faits à des sphinx. On reproche à Homère les carnages dont il remplit son antre, l’Iliade, à Eschyle, la monstruosité ; à Job, à Isaïe, à Ézéchiel, à saint Paul, les doubles sens ; à Rabelais, la nudité obscène et l’ambiguïté