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science, lesquels se résument en un seul et immense mouvement vers la lumière. » Certes, c’était là une entreprise digne de son génie, quelque colossale qu’elle fût.

Pour qu’un seul homme, toutefois, pût réaliser complètement un dessein aussi formidable, il fallait qu’il se fût assimilé tout d’abord l’histoire, la religion, la philosophie de chacune des races et des civilisations disparues ; qu’il se fit tour à tour, par un miracle d’intuition, une sorte de contemporain de chaque époque et qu’il y revécût exclusivement, au lieu d’y choisir des thèmes propres au développement des idées et des aspirations du temps où il vit en réalité.

Bien qu’aucun siècle n’ait été à l’égal du nôtre celui de la science universelle, bien que l’histoire, les langues, les mœurs, les théogonies des peuples anciens nous soient révélées d’année en année par tant de savants illustres ; que les faits et les idées, la vie intime et la vie extérieure, que tout ce qui constitue la raison d’être, de croire, de penser des hommes disparus appelle l’attention des intelligences élevées, nos grands poètes ont rarement tenté de rendre intellectuellement la vie au Passé. Ainsi, quand un très noble esprit, un profond penseur, un précurseur de notre Renaissance littéraire, Alfred de Vigny, conçut et écrivit le beau poème de Moïse, il ne fit point du libérateur d’Israël le vrai personnage légendaire qui nous apparaît aujourd’hui, le chef théocratique de six cent mille nomades idolâtres et féroces errant affamés dans le