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rique épuisée dominaient encore. La préface de Cromwell, ce manifeste célèbre de l’École romantique, avait excité déjà de violentes hostilités que les Orientales ne désarmèrent pas ; car nul poète n’a été plus attaqué, plus insulté, plus nié que Victor Hugo. Il est vrai que ces diatribes et ces négations ne l’ont jamais fait dévier ni reculer d’un pas. C’était un esprit entier et résolu, de ceux, très rares, qui se font une destinée conforme à leur volonté, et que les objections étonnent ou laissent indifférents, impuissantes qu’elles sont à rien enseigner et à rien modifier. Aussi, l’applaudissement qui salua l’apparition des Feuilles d’automne s’explique-t-il, moins par la beauté de l’œuvre que par le caractère intime, familial, élégiaque, d’une poésie aisément accessible au public et à la critique. De leur côté, les Chants du crépuscule, les Voix intérieures, les Rayons et les Ombres furent accueillis tour à tour avec un mélange d’éloges chaleureux décernés, comme d’habitude, aux parties sentimentales de ces beaux livres, et de reproches adressés à celles où l’émotion intellectuelle l’emportait sur l’impression cordiale. Rien de plus inévitable ; car, si nous admettons volontiers en France, pour articles de foi, et sans trop nous inquiéter de ce qu’ils signifient, certains apophtegmes, décisifs en raison même de leur banalité, tels que : la poésie est un cri du cœur, le génie réside tout entier dans le cœur ; nous oublions plus volontiers encore que l’usage professionnel et immodéré des larmes offense la pudeur des sentiments