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le plus puissant et le plus fécond, était inévitable et due à bien des causes diverses.

En effet, les grands écrivains du XVIIIe siècle avaient déjà répandu en Europe notre langue et leurs idées émancipatrices ; ils nous avaient révélé le génie des peuples voisins, bien qu’ils n’en eussent compris entièrement ni toute la beauté, ni toute la profondeur ; ils avaient surtout préparé et amené ce soulèvement magnifique des âmes, ce combat héroïque et terrible de l’esprit de justice et de liberté contre le vieux despotisme et le vieux fanatisme ; ils avaient précipité l’heure de la Révolution française dont un célèbre philosophe étranger a dit, dans un noble sentiment de solidarité humaine : « Ce fut une glorieuse aurore ! Tous les êtres pensants prirent part à la fête. Une émotion sublime s’empara de toutes les consciences, et l’enthousiasme fit vibrer le monde, comme si l’on eût vu pour la première fois la réconciliation du ciel et de la terre ! »

Victor Hugo naissait, Messieurs, au moment où notre pays, qui venait de proclamer l’affranchissement du monde, s’abandonnait, dans sa lassitude, à l’homme extraordinaire et néfaste couché aujourd’hui sous le dôme des Invalides, et qui allait répandre à son tour, qu’il le voulût ou non, les idées révolutionnaires à travers l’Europe doublement conquise. Le Poète, de qui l’âme contenait virtuellement tant de symphonies multiples et toujours superbes, grandit au bruit retentissant des batailles