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LE CHAPELET DES MAVROMIKHALIS.


Pendant bien des étés, bien des mornes hivers,
Le roi du Magne a vu, le long de sa muraille,
Ces têtes, dont la peau se dessèche et s’éraille,
Blanchir, chacune au clou qui s’enfonce au travers.

Depuis, tous sont morts, lui, ses enfants et ses proches,
Par la balle ou le sabre, ou vaincus ou vainqueurs.
Leur souvenir farouche emplit les jeunes cœurs,
Et leurs spectres, la nuit, hantent les sombres roches.

C’étaient des hommes durs, violents et hardis,
Âpres à la vengeance, orgueilleux de leur race,
Ne sachant demander merci, ni faire grâce,
Et, pour cela, certains d’aller en Paradis.

Au rebord du ravin abrupt et sans issue,
Sous la ronce, au milieu des sauvages mûriers,
L’ancien Pyrgos, gercé par les ans meurtriers,
Dresse encore sa masse ébréchée et moussue.

Les crânes turks, autour, luisent comme des lys ;
Et le berger, vêtu de sa cotte de laine,
Qui paît ses moutons noirs au-dessus de la plaine,
Sourit au Chapelet des Mavromikhalis.