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de le dégager des vaines règles, du faux idéal où il s’épuisait, de l’affranchir de la servitude avilissante où l’assujettissait le désir de satisfaire les sociétés factices et matérielles. De là ces études publiées par lui dans La Variété sur André Chénier, régénérateur de la poésie française, et sur les tentatives faites en Angleterre et en Allemagne pour libérer l’art des préjugés et des écoles. Ces premières études ont pour nous ce grand intérêt que l’on peut déjà y relever quelques-unes des idées maîtresses qui inspireront la préface des Poèmes antiques.

Pour lui, la source sacrée d’où coule la poésie, c’est le sentiment, puissance de sympathie universelle, intuition aussi de l’essence et des manifestations immuables de l’être. C’est pourquoi, aux époques primitives, lorsque l’humanité saintement ignorante et vierge dans l’expansion libre de ses forces intactes, n’a pas encore rompu les liens qui la rattachent à la nature ; lorsqu’elle n’a pas cherché à comprendre ce qui est inconcevable, et qu’elle n’a pas encore tué les antiques croyances et les vieux mythes, fils de la terre ; alors seulement règne la poésie toute spontanée, toute émotionnelle, toute enthousiaste, comme un écho puissant encore de l’harmonie universelle. Mais l’humanité vieillit, sa sensibilité s’émousse. Devenue aveugle et sourde, elle se leurre des vaines créations de son intelligence ; elle a encore ses poètes qui célèbrent les subtilités de l’esprit et les spéculations du cœur, et elle les applaudit, croyant toujours entendre les vastes symphonies d’antan ; mais la poésie est morte. La science n’est pas la poésie, l’intelligence spéculative ni l’esprit ne peuvent se substituer au sentiment. Et pour ceux qui ont cru pouvoir imiter les chefs-d’œuvre des grands poètes, ils ont fait un mauvais calcul ; ils ont pu reproduire les formes extérieures de ces œuvres ; mais l’âme primitive est absente de leurs copies, elles sont vides.

Être « spontané », cela n’est plus en notre pouvoir ; mais nous pouvons étudier les œuvres primitives, nous rapprocher d’elles par la science et par l’étude. En les cherchant, nous retrouverons la nature ; et n’est-ce pas là que doivent tendre